Ignorer les liens de navigation

La Maison

 

 

Je me réveille pour dormir, et me laisse prendre doucement par l’éveil.
J’ apprends en allant où je dois aller. » Theodore Roethke

 

Les Éditions Banyan, pour l’amour de l’Inde.

À travers le ruissellement fluide et majestueux de sa littérature, le cœur de l’Inde bat au rythme de ses langues régionales qui composent elles-mêmes tout un monde, ondulations lumineuses, profondes, intimes, puissantes — grandes âmes si pleines du cycle de la vie.

Mais la littérature indienne ne saurait se résumer à un rêve délicat destiné à celles et ceux qui aspirent à un peu de beauté. Elle est aussi guerrière, courageuse, patiente, dotée d’une simple armure, le stylo, pour lutter contre les adversités de la vie. Elle sait faire entendre la voix de la justice la plus haute et le bon sens le plus humain pour ne jamais rendre les armes et toujours continuer à aller de l’avant.

Multilingue et multiforme, son degré de variété n’est comparable à aucune autre littérature dans le monde. Chacune des langues de l’Inde, forte de sa propre matrice de sons et de phrasés, déploie un univers imaginaire différent, riche de ses mythes et croyances, de ses structures sociales, de sa vision de l’histoire et du temps.

Les ouvrages publiés par les Éditions Banyan portent chacun à leur manière un regard nouveau, enrichissant et surprenant sur l’Inde, loin des clichés dont le sous-continent fait encore trop souvent l’objet. Leurs auteurs nous dépeignent une Inde souvent dure, mais aussi passionnée, fière, résolument bâtie sur le socle de l’amour.

Non, le meilleur de la littérature de l’Inde n’a pas encore été publié.
Nous allons donc lui donner la voix qu’elle mérite !

Des plus classiques aux plus contemporains, les romans et nouvelles Banyan éclairent ainsi sous un jour inattendu une Inde aussi complexe que fascinante, entre tradition et modernité, pages d’histoire méconnues, traumatismes passés et rêves d’avenir… Une Inde d’une incroyable diversité, encore bien loin d’avoir livré tous ses secrets, toute sa richesse.

La collection Poésie recèle également de véritables trésors, tant la littérature indienne est avant tout celle des grands poètes incarnant les idéaux et la hauteur spirituelle du sous-continent, et sa capacité unique à guérir les blessures d’un monde déchiré par les conflits.

La science-fiction, qui a elle aussi toute sa place au pied du Banyan, puise quant à elle sa force aux origines mêmes de l’Inde qui, depuis le temps des Rishis védiques, n’a cessé de faire preuve d’un esprit visionnaire hors du commun et d’une aptitude à soulever les consciences pour construire un monde meilleur.

Enfin, la littérature jeunesse indienne se distingue par le foisonnement de ses thèmes et par son message bien particulier, encourageant les jeunes enfants et les adolescents à s’opposer à toute forme d’injustice et à toujours défendre leurs idéaux.

Ainsi, le catalogue Banyan se veut un témoignage de sincérité, un élan pour toucher le cœur des lecteurs, leur ouvrir d’autres réalités, d’autres possibles et, tout simplement, infuser toujours plus de vie.

À vous maintenant, de vous approprier cette richesse, assis sur une natte à l’ombre du Banyan, à boire un thé, conversant avec ardeur sur l’ouvrage que vous venez de lire…

 

À l’ombre du Banyan

Directeur général
David Aimé
contact@editions-banyan.com

Traducteurs
Éric Auzoux
Claire Blanchaud
Sati Karagoz
Claude Basu
Nadia Cattoni
Jyoti Garin
Patrice Ghirardi
Annie Montaut
Laure Terilli
Prithwindra Mukherjee
Maryse Prat
Marie Pontacq
Roselyne Sibille
Sahana Chakravarti Bar
Nina Cabanau
Daniela Cappello
Florence Pasche Guignard
Philippe Lang

Correcteurs

Magali Passeneau
Bettina Leseve
Pascal Garin

Conception graphique
Guillaume Le Guillou

Maquettiste
Pascal Garin

Imprimeur
Corlet Numeric
Arka

 

Revue Indigo (N°6)
Interview David Aimé
Par Raoto Andriamanambe

INDIGO : Pourquoi les Éditions Banyan ont-elles choisi l’Inde ?

DAVID AIMÉ : Parce que l’Inde, c’est d’abord l’universalité…
N’étant pas satisfait de la production actuelle de la littérature indienne en France, je voulais lui rendre ce qu’elle m’a donné. Les Éditions Banyan, comme beaucoup d’autres, naviguent sur les eaux tempétueuses du monde, mais en restant proche de ces choses qui nous occupent, l’universel… Et qui mieux que l’Inde, dont la langue millénaire, le sanskrit, donna naissance à une quantité d’autres langues et de dialectes, nous offre aujourd’hui une si foisonnante littérature ? Toutes ces langues de l’Inde qui irriguent son génie littéraire, qui les portent plus loin et parfois au-delà de ses frontières, gardant en son sein le souvenir de sa source inépuisable, lumineuse, ou elles s’offrent à l’océan du monde et des autres hommes.

À travers le ruissellement fluide et majestueux de sa littérature, le cœur de l’Inde bat au rythme de ses langues régionales qui composent elles-mêmes tout un monde, ondulations lumineuses, profondes, intimes, puissantes — grandes âmes si pleines du cycle de la vie.
Mais la littérature indienne ne saurait se résumer à un rêve délicat destiné à celles et ceux qui aspirent à un peu de beauté. Elle est aussi guerrière, courageuse, patiente, dotée d’une simple armure, le stylo, pour lutter contre les adversités de la vie. Elle sait faire entendre la voix de la justice la plus haute et le bon sens le plus humain pour ne jamais rendre les armes et toujours continuer à aller de l’avant.
Multilingue et multiforme, son degré de variété n’est comparable à aucune autre littérature dans le monde. Chacune des langues de l’Inde, forte de sa propre matrice de sons et de phrasés, déploie un univers imaginaire différent, riche de ses mythes et croyances, de ses structures sociales, de sa vision de l’histoire et du temps.

La littérature indienne, c’est aussi la littérature dalit, rejeté actuellement par la société indienne, dans tous les aspects de la vie, victimisée, mais qui de par son esthétisme et son courage à lutter contre l’injustice la place au rang de littérature héroïque.
Le meilleur de la littérature indienne ne vient pas de la diaspora.
Vous l’aurez compris. L’avenir de la littérature mondiale sera du côté des littératures régionales et autochtones de l’Inde. Des romans ambitieux et originaux. De vrais trésors à découvrir !

La littérature indienne en France
Malgré l’effort des éditeurs français depuis le début des années 90 pour faire connaître la littérature indienne, la culture de l’Inde reste encore méconnue du grand public. Il est encourageant d’observer une multiplication de manifestations culturelles sur l’Inde en France. L’Inde a été à deux reprises l’invitée d’honneur du salon Livre Paris, en 2007 puis en 2020 (édition malheureusement annulée pour cause de Covid-19), et mise en lumière lors du festival Étonnants Voyageurs de Saint-Malo par exemple. Ces vitrines participent activement à une nouvelle topographie de la littérature indienne. Mais il reste encore beaucoup d’auteurs à découvrir. On peut déplorer également qu’aucun travail de fond ne soit effectué par les éditeurs pour faire connaître les langues régionales de l’Inde. Raison pour laquelle les Éditions Banyan se sont engagées à démocratiser la littérature indienne, offrir ses trésors au lecteur français et surtout sortir de l’image stéréotypée dont ce pays est souvent l’objet en donnant la voix à des auteurs qui écrivent dans leur langue maternelle et qui ont fait le choix de rester vivre dans leur pays.

INDIGO : Qu’est-ce qui vous a poussé à ce projet ?

DAVID AIMÉ : Un besoin… de Beauté, d’Harmonie, d’Unité.
L’harmonieuse beauté de la littérature indienne, si diverse et si riche. Par ses publications, Les Éditions Banyan souhaitent établir une passerelle culturelle et littéraire entre l’Inde et la France, deux pays très proches dans leurs idéaux. Voici ce que dit Kireet Joshi, ancien ministre de l’Éducation d’Indira Gandhi, ex-Président du Conseil indien de la recherche philosophique :

« Aussi l’Inde et la France peuvent-elles et doivent-elles marcher ensemble ;
ce serait l’union de l’esprit et de l’intellect pur.
La jonction de ces deux grands pouvoirs rendrait l’humanité victorieuse. »

INDIGO : La culture indienne (yoga, musique) est assez connue, pourquoi la littérature peine-t-elle à se faire connaître ?

DAVID AIMÉ : Tout d’abord par un manque de curiosité des éditeurs français. Il y a les éditeurs littéraires (aujourd’hui presque industriel) et les éditeurs engagés. Ce dernier s’inscrit dans un engagement total, sans calcul de profit immédiat. Ce sont généralement les petites structures qui s’emploient courageusement à effectuer ce travail de fond. En littérature indienne, force est de constater que nous sommes loin d’une abondante production éditoriale. Toute spécialisation que l’on observe dans le développement d’une collection en littérature étrangère est dicté par opportunisme éditorial (à quelques exceptions près) que par des considérations intellectuelles. Dans la presse journalistique littéraire française, on attend depuis Salman Rushdie et Vikram Seth (pour les plus connus) une renaissance littéraire indienne. Faut-il pour cela prendre quelques initiatives… et faire naître ainsi quelques affinités esthétiques littéraires pour toucher au cœur les lecteurs.

Toute empreinte littéraire durable passe par la beauté, la saveur et la richesse d’un pays.
Pour un éditeur, c’est un travail méticuleux pour défricher le meilleur de cette littérature.
Les Éditions Banyan (sorte de Janus), travaillent à contre-courant, elles ne répondent pas à l’offre et la demande. Sa seule stratégie commerciale : le travail, la générosité, l’ouverture, son amour de l’Inde.

Pour les indiens, la France et l’Inde de l’Europe.
Nous avons donc une dette vis-à-vis d’Elle.

Ceci pour l’édition.

Plus extérieurement mais avec une conséquence directe sur la façon d’appréhender l’Inde, en France, le milieu universitaire indophile. Celui-ci est marqué par son arrogance. Un relan de colonialisme ? Un excès de fatuité ? Par une mauvaise perception du monde extérieur indien (son monde intérieur n’étant que le reflet du monde extérieur) l’Inde subit continuellement dans les journaux et les radios l’agression de commentateurs et intellectuels, analysant sa vie culturelle et spirituelle de façon horizontale, promenant leur cérébralité occidentale par des modèles ataviques (les standards occidentaux…) qui, par voie de conséquence ne saisisse pas le rapport d’altérité. Pour parler de l’Inde, de sa culture, de sa littérature, il convient d’abord de prendre en considération les relations avec l’« autre ») ou les « autres », et par là-même avec les mythes et les symboles d’une culture. Ces universitaires n’ont pas accès au génie créateur de l’Inde. Ainsi, comment pourraient-ils comprendre l’imaginaire indien ? – celui-là-même qui a façonné sa vie intérieure depuis plus de 5000 ans.

Nos yeux ne s’ouvrent qu’en proportion de notre compréhension.
L’homme qui est plein de vie ne juge pas, ne cherche pas de conclusions, n’impose pas ses idées au monde.

Et qui mieux que Empédocle pour comprendre le sens d’altérité :

« Double ce que je vais dire.
Plutôt l’un croît pour seul être de plusieurs qu’il était, tantôt il se sépare et devient pluriel d’un qu’il fut. Double la naissance des choses mortelles, double leur dépérissement. Si une, la rencontre de tous l’enfante et l’emporte à la fois. L’autre, dispersant, se disperse quand ils se séparent à nouveau. Et jamais ils ne cessent d’échanger leur chemin. Tantôt par amour se rencontrant tous dans l’un, tantôt emportés chacun au loin par la haine de Discorde. Et quand l’un se sépare encore le multiple s’accomplit. »

En conclusion, pour illustrer mon propos que l’Avenir est à l’Est, voici ce que dit Victor Hugo : » Au siècle de Louis XIV on était helléniste, maintenant on est orientaliste… Nous verrons de grandes choses.

INDIGO : Voulez-vous créer un pont littéraire entre l’Occident et l’Orient ?

DAVID AIMÉ : Au vingtième siècle, des hommes ont chantés la beauté et la grandeur de l’Inde. Pour Michelet, par exemple :
« L’Inde, plus voisine que nous de la création, a mieux gardé la tradition de la fraternité universelle. Elle l’a inscrite au début et à la fin de deux grands poèmes sacrés, le Ramayana, le Mahabharata, gigantesques pyramides devant lesquelles toutes nos petites œuvres occidentales doivent se tenir humbles et respectueuses. Quand vous serez fatigué de cet Occident disputeur, donnez-vous, je vous prie, la douceur de revenir à votre mère, à cette majestueuse antiquité, si noble et si tendre. Amour, humilité, grandeur, vous y trouvez tout réuni, et dans un sentiment si simple, si détaché de toute misère d’orgueil, qu’on n’a jamais besoin d’y parler d’humilité. … [En Inde,] tant de guerres, tant de désastres et de servitudes, n’ont pu tarir la mamelle de la vache sacrée. Un fleuve de lait coule toujours pour cette terre bénie… bénie de sa propre bonté, de ses doux ménagements pour la créature inférieure ».

Et encore de Michelet :

« C’est la première où j’ai pu lire le grand poème sacré de l’Inde, le divin Ramayana. … Tout est étroit dans l’Occident. La Grèce est petite : j’étouffe. La Judée est sèche : j’halette. Laissez-moi un peu regarder du côté de la haute Asie, vers le profond Orient. J’ai là mon immense poème, vaste comme la mer des Indes, béni, doré du soleil, livre d’harmonie divine où rien ne fait dissonance. Une aimable paix y règne, et même au milieu des combats une douceur infinie, une fraternité sans borne qui s’étend à tout ce qui vit, un océan (sans fond ni rive) d’amour, de pitié, de clémence. J’ai trouvé ce que je cherchais : la bible de la bonté. Reçois-moi donc, grand poème !… Que j’y plonge !… C’est la mer de lait. »

« L’Inde a fait plus haut que personne ce qu’on peut appeler la déclaration des droits de l’Être » (seraient-ils plus intéressants que ceux de l’homme ?). « Ce moi divin, cette société de l’infini avec lui-même, voilà évidemment le fondement, la racine de toute vie, de toute histoire. » – Edgar Quinet

Toujours d’Edgar Quinet :
« Une plus large charité de l’esprit humain, la charité envers la nature entière. C’est le sceau de toute cette littérature indienne : l’humanité ! ».
« C’est en Orient que nous devons chercher le suprême romantisme. » – Schlegel

« plier le genou devant la philosophie orientale et de voir dans ce berceau de la race humaine la terre natale de la plus haute philosophie ». – Victor Cousin

L’œuvre de Victor Hugo rejoint cette recherche de l’Absolu contenu dans les textes classiques de l’Inde. Hugo était un génie puissant » disait Sri Aurobindo.

Je pourrais citer encore une pléthore de noms : Lamartine, Vigny, Baudelaire Flaubert, Jules Verne, Romain Rolland, Antonin Artaud, Jean Biès, Malraux… ainsi que d’illustres écrivains et philosophes allemands. Dans les échanges franco-indiens, Malraux, grand amoureux de l’Inde, a beaucoup œuvré lorsqu’il était ministre chargé des Affaires culturelles pour ce rapprochement, tout comme Maurice Schumann, secrétaire d’État aux affaires étrangères et bras droit du Général de Gaulle. À la fin de l’année 1947, quelques jours après l’indépendance de l’Inde, Maurice Schumann, chef de la mission culturelle française déléguée par le Gouvernement français, est chargé par le chef du Gouvernement Ramadier de négocier le sort des cinq comptoirs français en Inde. Dans les bouleversements que connaît l’Inde de l’époque, il obtient une entrevue avec Sri Aurobindo qui, au cours de cette conversation amicale, déclara que la France était le pays qu’il aimait le plus après l’Inde. Il suggéra d’ouvrir une université à Pondichéry qui offrirait la possibilité aux étudiants des quatre coins du monde d’étudier les civilisations indiennes. Malheureusement, une université qui ne verra jamais le jour. Pour les Indiens, la France est l’Inde de l’Europe. Nous avons donc des devoirs vis-à-vis d’elle.

Pour les Indiens, la France est l’Inde de l’Europe. Nous avons donc des devoirs vis-à-vis d’elle.

INDIGO : Quel lien entretenez-vous / tissez-vous avec l’Inde ?

DAVID AIMÉ : Un lien essentiellement littéraire. Je m’y promène intellectuellement, métaphysiquement, philosophiquement et spirituellement, quotidiennement, là où je suis, à Paris. Mon rapport à l’Inde est solitaire, sa seule présence suffit à ma joie. Plus tard, quand le temps me le permettra, j’y retournerai !
Bharat Mata.

 

***

 

Librairie Une page à écrire

« Dans l’aura de la littérature indienne, vaste, profonde, toujours mouvante. » 

Entretien avec David Aimé

David Aimé est le fondateur et le directeur général des Éditions Banyan, dédiées depuis 2015 aux littératures de l’Inde.

Il nous fait l’honneur de répondre à nos questions alors que viennent de paraître deux ouvrages singuliers et cultes en Inde : le recueil de poésie Jejuri d’Arun Kolatkar et le roman réaliste magique Herbert, de Nabarun Bhattacharya.

Nous le remercions infiniment pour la générosité de ses réponses qui nous embarquent immédiatement vers un univers méconnu et fascinant : l’effervescence de la production littéraire indienne moderne et contemporaine.

PAMÉLA RAMOS : Merci, David Aimé, de nous accorder cette parenthèse enchantée au cœur d’un hiver rugueux nimbé d’étrangeté et de pertes de repères. S’il est vrai que les Occidentaux sont de vrais « fous de l’Inde » comme le dit Régis Airault dans son essai du même nom, il nous est apparu que plusieurs méprises demeuraient inévitablement dans les conceptions et les attentes que nous pouvons effleurer, dans chaque trajectoire littéraire ou spirituelle, à propos de ce pays vaste, aux langues et cultures multiples. Il ne s’agit pas dans notre présente démarche de chercher absolument à crever le voile et démythifier notre rapport à la littérature et/ou spiritualité indiennes, mais d’ouvrir avec vous de nouvelles portes, en acceptant le vertige qu’elles nous conduisent en territoire parfois parfaitement inconnu. Nous avons besoin d’un guide solide pour rentrer à bon port, une fois le voyage mental effectué, et vous remercions encore d’avoir bien voulu répondre à nos questions, en qualité de directeur de jeunes éditions intégralement dédiées à la traduction française d’œuvres inédites venant d’Inde, les Editions Banyan. Nous nous installons donc avec vous sous cet arbre sacré, le banyan, et embarquons dans l’aventure.

DAVID AIMÉ : Bienvenue à vous !  Un grand merci pour votre accueil chaleureux et pour l’attention que vous portez aux Éditions Banyan. Cela donne sens à mon travail et sa raison d’être.

PAMÉLA RAMOS : Tout d’abord, pouvez-vous nous donner les contours de la mission intellectuelle que vous vous êtes donnée en fondant ces éditions ?

DAVID AIMÉ : C’est d’abord rendre à l’Inde ce qu’elle m’a donné.

C’est ensuite donner une forme sensible à l’intériorité de l’Inde dans toutes ses dimensions, par la littérature.

Les Éditions Banyan, comme beaucoup d’autres, naviguent sur les eaux tempétueuses du monde, mais en restant proche de ces choses qui nous occupent, l’universel… Et qui mieux que l’Inde, dont la langue millénaire, le sanskrit, donna naissance à une quantité d’autres langues et de dialectes, nous offre aujourd’hui une si foisonnante littérature ? Toutes ces langues de l’Inde qui irriguent son génie littéraire, qui les portent plus loin et parfois au-delà de ses frontières, gardant en son sein le souvenir de sa source inépuisable, lumineuse, où elles s’offrent à l’océan du monde et des autres hommes.

Nous sommes sur un vivier dont seules les Éditions Banyan s’engagent de façon continue. C’est là sa force et sa différence, et peut-être le chemin de sa réussite.

Le XXIe siècle posera l’ancre sur les littératures régionales de l’Inde…

Nous invitons donc les lecteurs à s’engager sur ce chemin littéraire où éclate toute l’imagination débordante de l’Inde, et pour ceux qui le souhaitent, à devenir les ambassadeurs spontanés et naturels des Éditions Banyan, qui n’ont qu’une seule préoccupation : rendre les lecteurs heureux.

PAMÉLA RAMOS : Quels sont vos rapports, à vous, avec ce pays ? Le résumé, vibrant, que vous en donnez sur votre site, est un véritable appel à considérer le patrimoine ancien comme contemporain des Indes sous un nouveau jour…

DAVID AIMÉ : Mon rapport à l’Inde est charnel, psychique, spirituel. C’est une présence quotidienne, mon port d’attache dans l’âme pour tenir face à l’absurdité du monde. L’Inde est une vibration, un souffle, une conscience qui se manifeste et irrigue celui ou celle qui veut s’abandonner à elle. La spiritualité indienne, sa philosophie et sa littérature se donnent la main pour donner de la joie (l’Inde existe pour cette joie), un étendard d’espoir.  Son sujet de prédilection depuis plus de 5000 ans : la connaissance de l’Homme. C’est le don offert à l’humanité par les Rishis védiques (rishis qui signifie Voyants).

PAMÉLA RAMOS : Romans, essais, théâtre, poésie… mais aussi science-fiction, ou littérature jeunesse, font partie des domaines que vous envisagez de développer. Comment allez-vous à la recherche de ces textes ?

DAVID AIMÉ : Je suis un chercheur, un défricheur. Le vrai travail d’un éditeur et le plus passionnant.

C’est d’abord une recherche personnelle et une exigence spirituelle et intellectuelle impérieuse, une soif de beauté et de vérité où le sectarisme n’a pas sa place. Aussi la liberté des publications et des idées qui en émanent est le miroir du Banyan. Des publications pour la fermentation des idées, de la réflexion, du voyage immobile mais vivant pour éveiller la pensée du lecteur, dans l’aura de la littérature indienne, vaste, profonde, toujours mouvante. Les parutions Banyan obéissent à un affectueux et tendre désir de partage pour un peu de beauté, d’harmonie et d’unité. Modeste tentative pour se tourner vers l’immense expectative de l’Inde.

Ma recherche des textes se résume à dénicher des trésors, mon domaine de prédilection… Et un simple échange d’offrande, voilà tout.

PAMÉLA RAMOS : Quels sont vos critères spécifiques ? Nous avons par ailleurs été surprises, en préparant cet entretien et notre liste de suggestions de littérature indienne contemporaine, du nombre d’ouvrages épuisés alors qu’ils jouissent d’un certain plébiscite auprès des lecteurs. Pensez-vous en reprendre quelques-uns ?

DAVID AIMÉ : Mes critères spécifiques ? Le style, le souci de la langue, l’engagement d’un texte, la transgression, les mots, le rythme.

Oui pour une réimpression des titres épuisés, selon l’état de la trésorerie du Banyan. Cette aventure éditoriale est exaltante mais très difficile économiquement, presque impossible. Il peut sembler (très) téméraire de créer une maison d’édition exclusivement dédiée aux littératures de l’Inde. En effet, il est difficile de vendre de la littérature indienne en France. Un lectorat qu’il faut aller chercher avec patience – la littérature indienne est si mal connue. Conséquence du peu d’attention et d’intérêt que portent les éditeurs à la littérature indienne. En ce sens, il est demandé de revenir au vrai fondement de notre métier, à savoir considérer l’édition comme un métier et non comme un business. En amont, le métier d’éditeur est d’abord la rencontre d’un auteur. Le meilleur retour sur investissement qu’une maison puisse fournir est d’abord une identité éditoriale marquée, la qualité littéraire de son catalogue et la fidélité de ses lecteurs.

Je tiens à préciser que les Éditions Banyan ne reçoivent aucune aide ni aucune subvention. Les ouvrages Banyan se vendent mal et à perte. Je lance d’ailleurs prochainement une cagnotte.

PAMÉLA RAMOS :  Il peut être déstabilisant d’entrer dans un univers d’apparence si éloigné du nôtre, je pense par exemple à Herbert, de Nabarun Battacharya (1948–2014, le fils de la grande écrivaine Mahasweta Devi), qui conte la brève existence d’un jeune homme qui dialogue avec les morts, entretient envers le monde une farouche attitude poétique, fasciné par le communisme, au  moment où il décide de se donner la mort : la disposition mentale du protagoniste principal, son rapport au poids du passé, ses souffrances, mais aussi la scénographie – si l’on peut s’exprimer ainsi, tant l’écriture peut être visuelle –  qui entoure plusieurs passages-clés, désarçonnent, nous ne sommes jamais certains d’être sur un terrain stable, mais plutôt dans le sable mouvant du rêve… vous nous aviez indiqué qu’il faisait partie de vos favoris, pouvez-vous nous en parler un peu plus, comme de son auteur ?

DAVID AIMÉ : Nabarun Bhattacharya est l’un des écrivains bengalis les plus originaux et les plus inventifs des dernières décennies. Son œuvre est avant tout sociale, politique. C’est un dissident anarchiste, marxiste et résistant. Un artisan de l’art qui s’attaque férocement aux capitalistes et à la domination économique des classes sur la vie des indiens, en particulier ceux du Bengale. Avec une acuité chirurgicale, il montre tel un reporter la crudité de la vie à Kolkata (Calcutta), ces détails ignobles de l’anémie sociale (multitude de personnes vivant dans la saleté et la pauvreté), sous-produit d’une organisation et d’une classification voulues par l’establishment que dénonce au vitriol et avec humour Nabarun Bhattacharya. On lui attribue d’avoir jeté les bases du « réalisme magique » dans la littérature bengalaise, et il a reconnu l’influence de Mikhaïl Boulgakov sur son travail. Il l’utilise comme un nouvel outil de révolte anarchiste et anti-establishment en accord avec ses propres convictions politiques, qui lui permet d’aborder la situation post-coloniale du Bengale et de mettre en évidence les tensions entre l’élite et le peuple. Il a inventé une classe d’êtres humains qui peuvent voler et provoquer à leur gré le chaos et l’anarchie pour déstabiliser les structures corrompues du pouvoir. Il a lui-même participé au soulèvement des Naxalites (révolte paysanne qui éclata au printemps 1967 et se répandit dans plusieurs États indiens) dans sa jeunesse, dont ce roman ressuscite les fantômes.

Herbert est un roman culte en Inde. Il offre une parabole de la révolution – non pas la révolution d’un véritable activiste politique mais celle d’un homme du commun curieusement marginal qui pratique la nécromancie. À travers cette activité, il s’en tient à son propre langage culturel, dérivé des anciennes pratiques indiennes. Il est le fils d’un homme qui a servi d’intermédiaire instruit entre les britanniques et la population colonisée, un réalisateur raté dans l’Inde récemment indépendante des années 1940. Lui et sa femme, décédés alors que Herbart était encore enfant, apparaissent tout au long du roman comme des fantômes veillant sur leur fils. Le couple jette un regard tragicomique sur les événements du roman, qui contribue au réalisme fantastique du texte.

PAMÉLA RAMOS : Vous venez également d’éditer en bilingue anglais-français (voir un extrait en fin d’entretien) les poèmes d’Arun Kolatkar (1932-2004), Jejuri. Publié en 1976 de façon assez confidentielle, ce recueil a reçu le Commonwealth Poetry Prize. L’introduction d’Annie Montaut parle de séisme. Cette traduction inédite est un événement culturel majeur : qu’éclairent ces poèmes ? Pourquoi une édition bilingue ?

DAVID AIMÉ : Ils nous éclairent d’abord sur le regard d’un immense poète, puis nous saisissent par l’extrême modernité des observations de Kolatkar des passants et des pèlerins situés aux abords du temple de Lord Khandoba.  On peut considérer Jejuri comme le plus remarquable recueil de poésie de l’Inde moderne.

Arun Kolakar y exprime ses opinions sur la foi, le réalisme et le scepticisme.

L’esprit de la jeunesse indienne est un mélange de foi, de mythe, de culture, de tradition et de scepticisme. Les Indiens ont une dévotion naturelle pour le sacré, qui n’est que l’impact d’une culture plurimillénaire ayant façonné leur religiosité. Jejuri célèbre dans un microcosme et un macrocosme la vie, autrement dit la quête de l’homme pour son identité dans le vaste univers. Les observations d’Arun Kolatkar se déroulent entre le lever et le coucher du soleil. Les poèmes évoquent une série d’images pour mettre en évidence le dilemme de la vie moderne. Il s’attaque ironiquement à la religion, à la culture et à la tradition lorsqu’elles deviennent des sources de profit, tout en exposant les travers de la foi aveugle.

Jejuri est un recueil d’une sensibilité typiquement indienne, écrit par un poète réaliste et libre de tout dogme religieux.

La traduction de poèmes est une entreprise artistique, souvent intuitive, créative.

C’est pourquoi les recueils de poésie Banyan sont tous proposés en version bilingue pour montrer toute l’attention et le maximum de précision de la traduction. Et pour donner l’opportunité au lecteur de découvrir le texte dans sa langue d’origine (pour l’anglais), ou d’en découvrir l’esthétisme (pour les langues régionales de l’Inde).

PAMÉLA RAMOS : À propos de l’autonomie des peuples ou du respect de l’environnement, vous ouvrez vos portes à à la littérature des Adivasi, ou publiez le roman de Bandopadhyay, Aranyak, une « défense » de la forêt, se situant dans le Bengale rural (un alléchant programme !). Le combat contre l’injustice et pour la dignité de tout ce qui vit irrigue notre imaginaire lorsque nous appréhendons l’Inde : c’est toujours vrai, dans la production moins connue que vous tâchez de porter ? Quels sont les autres thèmes particulièrement émergents ?

DAVID AIMÉ : Le domaine émergeant du moment, car si actuel, est la littérature dalit (intouchable). Elle a pour vocation de changer la société indienne et est en ce sens héroïque. Je souhaite donc lui donner une place importante, tout comme aux littératures des autres castes et peuples de l’Inde opprimés et laissés pour compte, afin que par la voix de leurs auteurs, ils ne soient plus perçus comme des victimes mais comme les combattants qu’ils sont.

C’est le cas des Adivasi, la communauté indigène la plus ancienne de l’Inde, chassée de ses terres ou exploitée par les colons britanniques et reléguée dans des bidonvilles aux conditions de vie innommables. Les Adivasi ont créé des archives orales de leur histoire, sous forme de chansons, d’histoires et de mythologies, au fil des générations. Ces histoires, rarement traduites du fait de la barrière des dialectes locaux, ne nous ont pas permis d’accéder à cette littérature. Une difficulté qui s’ajoute à la vulnérabilité de ces langues indigènes, menacées en raison du manque de reconnaissance et de soutien de l’État. Certaines de ces histoires contiennent les voix fortes et affirmées des femmes adivasi contre diverses formes de violence et expriment leur point de vue sur la société dans son ensemble. Les poèmes et les récits de ces livres ne sont pas conçus d’un point de vue victimaire. Ils mettent en avant des récits qui renforcent le pouvoir d’action des femmes, en s’appuyant sur les expériences vécues par les écrivains adivasi. Ces histoires explorent (entres autres) la relation des Adivasis avec la forêt, la destruction de leur village par la construction des barrages hydrauliques causée par l’idéologie capitaliste.

Le Comité national de coordination des Adivasi et de la religion indigène, une coalition de groupes de défense des droits des Adivasi, vient de recenser 104 millions d’Adivasi, soit 8,6 % de la population nationale. Une minorité importante d’entre eux ont été enregistrés comme chrétiens, musulmans ou bouddhistes, et la grande majorité comme hindous. Environ 8 millions d’Adivasis ont été enregistrés comme « autres »…

Dans la même veine que les histoires adivasi, les éditions Banyan s’apprêtent à créer « Les Instantanés », une collection d’histoires courtes qui plongent le lecteur dans le bouillonnement littéraire de l’Inde, localisée en particulier dans l’État de l’Himachal Pradesh, au Nord de l’Inde. Un concert de voix portant toutes des récits différents, fictionnels, introspectifs, documentaires…

Les revues littéraires sont depuis longtemps légion en Inde, en particulier au Bengale. Elles permettent de découvrir de nouveaux écrivains, mais constituent aussi des espaces privilégiés pour les expériences littéraires les plus excitantes. Le meilleur de la littérature ne se trouve pas seulement dans les livres, il est aussi dans ces revues d’histoires courtes.

Je suis attaché également à la littérature jeunesse qui se distingue à la fois par le foisonnement de ses thèmes et par son message encourageant les jeunes enfants comme les adolescents à s’opposer à toute forme d’injustice et à défendre leurs idéaux. Des histoires d’humour et d’espièglerie, de courage et de détermination, de tolérance, d’aventure, de doutes et de peurs.

PAMÉLA RAMOS : La difficulté d’être bon ou l’art subtil du dharma, les derniers jours de Tagore (Prix Nobel de littérature), la « rencontre » d’Homère et Sri Aurobindo, le récit d’une famille d’« intouchables » … les sujets de tous les documents que vous publiez s’avèrent immédiatement passionnants, répondant à une soif dont on ignorait la provenance. C’est alors que se déploie, impitoyable, l’étendue de l’ignorance qui nous masquait tous ces trésors ! Par quoi entrer dans la danse ? Quel serait selon vous, de votre catalogue, l’essai le plus « généreux » pour oser une première percée dans la nuée ?

DAVID AIMÉ : Des fourmis parmi les éléphants de Sujatha Gidla.

PAMÉLA RAMOS : Enfin, espérons-le, le prochain salon du livre de Paris, reporté de l’année dernière, mettra en lumière les littératures de l’Inde : avez-vous des projets particuliers entourant cet événement ? Que pouvons-nous attendre avec impatience dans vos prochaines publications ?

DAVID AIMÉ : De la beauté, de l’originalité, de la singularité.
Les Éditions Banyan veulent donner la voix à une nouvelle génération d’auteurs en Inde.
En effet, ce sont des auteurs brillants, ultra-modernes qui s’inscrivent dans les réalités actuelles.

Banyan Editions, for love of India.

Through the fluid and majestic flow of its literature, India’s heart beats to the rhythm of its regional languages that compose a whole world, luminous waves, deep, intimate, powerful – great souls so full of the cycle of life.

But Indian literature can not be reduced to a delicate dream for those who aspire to a little beauty. It’s also a warrior, brave, patient, with a simple armor, the pen, to fight against the adversities of life. It knows how to make the highest justice and the most humane common sense of the word heard, to never give up but continue to move forward.

Multilingual and multiform, its degree of variety is comparable to any other literature in the world. Each of the languages of India, with its own matrix of sounds and phrasings, deploys a different imaginary universe, rich of its myths and beliefs, its social structures, its vision of history and time.

The works published by Banyan Editions each carry a new, enriching and surprising look at India, far from the cliches that the sub-continent is too often subject to. Their authors picture an India often hard, but also passionate, proud, resolutely built on the base of love.

The best of India’s literature has not been published yet.
We will give it the voice it deserves!

From the most classic to the most contemporary, Banyan novels illuminate in an unexpected way an India as complex as fascinating, between tradition and modernity, unknown history pages, past traumas and dreams of future … An India of incredible diversity, still far from having delivered all its secrets, all its richness.

The Poetry Collection also holds true treasures, as Indian literature is above all that of great poets who embody the ideals and spiritual heights of the subcontinent, and its unique ability to heal the wounds of a conflict-torn world.

Sci-Fi, which also has its place at Banyan, draws its strength from the very origins of India which, since the time of the Vedic Rishis, has continued to show a visionary spirit out of the ordinary, and an ability to raise awareness to build a better world.

Finally, the Indian youth literature distinguish itself by the abundance of its themes and its very particular message, encouraging young children and adolescents to oppose all forms of injustice and always defend their ideals.

Thus, the Banyan catalog is a testimony of sincerity, an impulse to touch the heart of readers, open other realities, other possible and, simply, infuse more life.

It’s up to you, now, to make yours this wealth, sitting on a mat in the shade of the Banyan, drinking a tea, conversing ardently on the book you have just read…